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OUVERTES À

LETTRES

Nécromant

Lettre ouverte à Juan Asensio

 

 

 

 Cher Stalker,

 

Vous êtes connu et reconnu pour tenir le « blog chirurgical » des Lettres. Le site que vous administrez et enrichissez quotidiennement ne l’avez-vous pas identifié comme le lieu de dissection du cadavre de la littérature ? Vous n’étrillez pas, vous ne condamnez pas, vous ne critiquez pas, non plus, pas plus que vous ne mettez à mort comme il m’arrive parfois de le faire pour certains fâcheux dont l’infatuation médiatique me fait perdre patience. N’admettant pas d’attendre le jugement des siècles à venir alors je me donne le droit d’exécuter de-ci de-là quelques canailles en vogue. Mais vous, c’est autre chose, vous n’abattez pas, vous… disséquez. Pour tout dire, vous assumez le rôle ingrat, car peu ragoûtant, de médecin légiste des « corps mourants » et autres volatiles mazoutés condamnés au trépas. Votre site est en quelque sorte une morgue… où vous tenez le rôle du nécromancien. Je ne sais s’y vous parvenez à opérer sur ces corps en putréfaction avancée des opérations magiques du style de celles de Mary Shelley ou de Gustav Meyrink ? Quoi qu’il en soit, vu de l’extérieure, votre métier apparaît répugnant, mais, à votre décharge, cela ne tient qu’à la qualité déconfite des dépouilles que l’on vous soumet. Le monde postmoderne des Lettres, à l’évidence, n’offre potentiellement que des cohortes de zombies ignares de leur sort ou de suicidés viscéraux.

 

À ce propos, je tremble de m’adresser à celui qui assuma, plume à la main, le « je » de Judas. Ce n’est pas du culot qu’il faut pour incarner l’Iscariote, mais un avant-goût en bouche des esters délétères de l’enfer. Vous m’inquiétez donc. J’ai même peur de me rapprocher, mais, comprenez-moi bien, si je puis surmonter mon appréhension momentanément, c’est que j’ai deux cadavres sur les bras dont je ne sais trop quoi faire, pour autant je n’avais pas songé à devoir en conserver les puantes reliques ci devers moi si longtemps. Ils commencent à puer intensément, ce qui, en soi, est une surprise, tant de leur vivant leur prose était insipide et sans odeur. À qui les refourguer ? À leurs éditeurs respectifs ! Oh, les ignobles exploiteurs de viandes aseptisées, la date de péremption sitôt dépassée, ils n’assurent plus le service après vente des auteurs faisandés qu’ils publient.

 

On vous dit méchant, mais on a tort : vous êtes factuel ; or, si vous annoncez viols et sévices, comme chez Angot par exemple, ceux-ci furent pratiqués par un autre que vous et l’on ne peut vous tenir rigueur du diagnostic post-mortem, à moins d’avoir si bien occulté la mort que sa seule évocation fasse frémir. Quand Anna Gavalda offre à tour de bras de la « joie de vivre », c’est évidemment en passant sous silence le nom du terminus. Vous occupez donc votre temps à rappeler à vos lecteurs que l’issue est fatale et que la littérature qui ne défie pas de front le spectre qui nous hante devient elle-même, fatalement, fantomatique. Or, c’est pour briser le cercle (vertueux) des paravents à la Potemkine de cette malédiction que vous vous êtes fait un devoir d’énonciation des termes du contrat. C’est, peut-être, en cela que vous paraissez diabolique quand vous dénoncez les pactes au final, réclamant aux auteurs célébrés en place de compléter le paiement des arrhes à défaut d’avoir servi pour l’immortalité les arts véritables.

 

Bon, revenons-en, maintenant, à la petite affaire qui nous intéresse. J’ai, sous le coude, les têtes de Nothomb et de Lévy, Amélie et Marc de leurs prénoms respectifs, ainsi que la queue ténue de Musso (Guillaume tel est son prénom à icelui). Pour trente deniers, cher Nécromant, je vous en cède le lot. Vous pourrez obtenir de leur trépanation des informations… dérisoires, qui, j’en suis certaine, confirmeront le peu de valeur du catalogue éditorial germanopratin actuel. Attendez, attendez ! ne partez pas. Certes, le chef de Lévy est très endommagé, mais j’ai dû convaincre les écureuils de Central Park de ne pas continuer à le grignoter au risque de s’empoisonner et de se trouver déconfits à la découverte de son creux volume trompeur. Oui, oui, j’en conviens aussi, la queue de Musso est plus qu’anecdotique. Mais enfin, le double chef d’Amélie avec son galurin invraisemblable vaut le détour, non ? Non. Vous dites que « non » ; là, simplement, tel est le mot que vous avez dit ? Bon, bon, je n’insiste pas… Attention, tout de même, n’approchez pas ! Je suis armée, et mon heure n’a pas encore sonné : je ne suis pas publiée, je n’ai pas pollué de mes petites souillures narcissiques la « Seine littéraire », et je travaille chez un éditeur digne de ce nom : Hypallage Editions.

 

Voyez, ô Nécromant, je suis encore innocente. Reculez, maintenant ! Retournez à votre enfer littéraire.

 

« Nec roman [t] » : « pas même un roman ! » Voici votre signature. Qui trouvera grâce à vos yeux ? Ah, mais j’oubliais, vous êtes le biographe de l’hermétisme à la grâce, celui de l’Iscariote en personne. « V’là des rétros, Satanas ! » Un coup d’œil furtif en arrière, je démarre en trombe et je vous échappe… Oups, j’ai oublié dans la précipitation mon sac de têtes !

 

Nécrologiquement vôtre le plus tard possible…

 

Alexandra Lampol-Tissot

 

 

© Hypallage Editions – 2015

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