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OUVERTES À

LETTRES

« De l’épinette dans le troussage des minettes »

Lettre ouverte à Stéphane Barsacq

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cher Volodia,

 

J’ai lu attentivement, avec application, agacement et contrariété, votre premier roman, qui a pour joli titre trompeur : Le piano dans l’éducation des jeunes filles.

 

Vous parlez beaucoup des femmes, de leurs sentiments, de ceux qu’elles vous inspirent, de cette alchimie grandiose qu’est la rencontre en leurs altérités extrêmes d’un homme et d’une femme, et ce, jusqu’à ce qu’ils constituent un couple, aussi improbable ou sublime soit-il. Vous êtes, à première vue, mais à première vue seulement, un romantique, un homme pour le moins désireux d’établir une liaison véritable avec un éternel féminin qui, à vous lire, semble toujours en fuite, en ligne de fuite, point Oméga ou point G – qu’en sais-je ? –, inaccessible. Car je n’ai rien compris à votre quête, quéquette, pine, épinette, et je te nique en musique !

 

Êtes-vous bien certain de vouloir aimer de cœur une femme ? Je crois plutôt que vous privilégiez les plans « baise » avec les concertistes, exclusivement des pianistes de surcroît, la difficulté et la rareté vous obligeant à l’impossible amour. Dommage, une de mes copines, violoncelliste, joue de façon jubilatoire avec l’instrument calé entre ses jambes l’introït du Cantique de Jean Racine selon la partition de Gabriel Fauré : « Verbe égal au Très-Haut, notre unique espérance… » Si je devais me mettre au diapason de vos phantasmes, dans la tête d’un homme qui darde pour les musiciennes comme Céline bandait pour les ballerines, je trouve plus sensuel, plus érotique le violoncelle que le piano, trop cérébral. Oui, j’imagine, mais lasse de telles mises en scène, sachez-le, que le piano, avec à son clavier une jeune fille modèle, en réalité une vicieuse masquée sous un vernis d’éducation bourgeoise « raffinée » – on apprête bien le maquereau aux groseilles et la morue à la brandade ! –, est un appel vibrant à une turgescence hautement culturelle. Foutaises ! Il n’y a là que pulsion fétichiste et compétition narcissique.

 

Vous vous imaginez amoureux de la pianiste alors que c’est votre désir d’aimer une concertiste de haut vol qui vous anime, qui commande à vos sentiments, ces derniers n’étant jamais réciproques puisqu’ils vous sont secrètement personnels. Vous vous rêvez aimé ou aimant, sans attendre le retour de l’instrumentiste au sujet de la réception de votre pressant désir d’amour. Mais est-ce cela l’amour ? Je puis, comme simple femme, vous répondre simplement non.

 

Vous êtes, Cher Volodia, guère meilleur que votre ami Julien qui, certes, est moins sélectif sur les proies. Vous convoitez les Présidente(s) de Tourvelle et ciblez l’exploit ; mais tout comme votre confident vous chassez et, sachez-le, vous m’êtes apparu comme un prédateur de premier ordre. Fort heureusement, Sophie vous a repoussé in extremis. À un doigt près, c’était le viol ; vous en êtes quitte pour la tentative… Et ne dites pas que vous avez du remord, vous avez juste le regret d’avoir raté votre cible, d’être passé si près du but sans l’atteindre… en son sexe. Il ne lui eut resté dans la défloration que la déploration…

 

Eh, dites-moi, beau salopard : vous recherchez le grand amour et vous ne proposez jamais le mariage à vos potentielles conquêtes ! Sophie ne méritait-elle pas que vous lui offrissiez des fiançailles dignes de ce nom ? Cet accueil distancié, consenti avec déférence et mutuellement chaste, n’eût-il pas permis d’inscrire dans le temps le cheminement nécessaire aux âmes jusqu’à l’apprivoisement de la fusion des corps au terme de l’acte marital ? L’attente patiente n’est pas votre fort. Vous êtes machiavélique, impétueux, retors et opportuniste en amour.

 

Vous êtes assurément aussi un Bel-Ami des Lettres. Et si l’on compare votre carrière littéraire, suivant la façon dont vous décrivez l’avoir menée, et vos tentatives d’approche des pianistes, on y lira la même méchanceté d’intention : emporter coûte que coûte le morceau, quitte à passer pour un gentil naïf. Oh, l’arme est redoutable. Asma en fut la dupe et faillit vous livrer corps et âme son innocente amie. J’ose espérer que l’on saura vous lire, y déchiffrer le crime en puissance et détourner de soi votre présence… méphistophélique.

 

Car, non plus aussi étrangement que vous le laissez croire, votre véritable sujet n’est pas l’amour des femmes, dussent-elles s’abaisser pour vous à n’être que des idoles du clavier, mais le Diable.

 

Vade retro !

 

Comme il est sinistre de constater que la carrière littéraire ne peut plus se mener, bien haut, bien loin, sans le concours opérant de quelques pactes contractés en cours d’ascension.

 

Du reste, qui veut la peau de Philippe Sollers ? Binet lui sectionnait les « bonbons » dans sa Septième fonction du langage, et, vous, sous couvert de piano et de jeunes filles en fleur, vous convoquez entre six planches de sapin sa dépouille. Y aurait-il un contrat sur le Pape des Lettres germanopratines ? Car le Grand Protagoras, c’est lui, et ce indubitablement depuis qu’aucun Eco ne « raisonne » plus ici-bas. Vous n’oubliez pas, non plus, d’insulter vos sponsors académiques, de moquer leur sénilité, leurs mesquineries, minauderies et prébendes littéraires... Mais si ce n’est pas le père qu’il faut ici tuer, s’agirait-il de récupérer chez son hôte le démiurge ? L’OPA sur le Démon des Lettres est lancée… À croire que Sollers est le dépositaire d’une puissance tutélaire de première ampleur. Tout cela, manifestement, me fait penser au livre cynique et parfaitement renseigné d’Henri-Frédéric Blanc, intitulé Discours de réception du Diable à l’Académie française.

 

Vous en êtes tous plus ou moins là, à mendier les faveurs de Méphisto, tôt ou tard. Ah, évidemment, si l’on prend pour jalon Goethe, il Faust se rendre à l’évidence : point de talent remercié par le public sans un petit coup de pouce du côté de l’enfer en guise de soutien aux ambitions terrestres. Mais malheur à vous, qui avez déjà touché votre récompense ! Car ce n’est jamais le Diable qui donne, même aux salauds, mais Dieu : Il fait se lever le soleil et pleuvoir pour les riches et les pauvres, pour les bons et les méchants. Vous confondez la prodigalité divine avec une supposée science secrète diabolique. Que le Diable aille au diable ! Qu’il garde pour lui son exclusivité.

 

La prochaine fois, Volodia, vous n’abandonnerez pas Mlle Dupond (vous auriez dû mettre un  « t » à la fin de son nom puisque vous la retrouvâtes sur la Passerelle des Arts), la laissant, sur le pavé, à sa détresse, à sa souffrance. Vous l’avez crue folle et même possédée en somme. Je vous rassure : elle n’est pas possédée mais obsédée, du latin obsidere, qui signifie « assiéger » ; elle est en état de siège démoniaque, sa vie en est infestée, mais elle n’a pas encore cédé et ne peut être, en la circonstance, déclarée possédée. Les « vrais » possédés ne s’en plaignent pas, n’ayant plus le contrôle sur eux-mêmes, étant devenus le « siège » du Démon, son expression sans âme. Mais toutes ces subtilités d’exorciste ne vous exonèrent pas du secours que vous eussiez dû porter à cette femme. Alexeï vous aurait soutenu dans ce combat.

 

Tout comme vous eussiez pu pardonner à Sonia et lui offrir ainsi la chance d’un amour qui transcendât la question sexuelle. Enfin, et je m’arrête là, ne niez plus la dimension procréatrice de l’acte en sa projection paternelle. L’homme est aussi appelé, au défi de rester l’amant de sa femme, à être un père pour ses enfants… Mais c’est peut-être ici trop demander. Curieusement, votre ami Julien n’a pas apprécié, bien que jouisseur égoïste invétéré, l’épisode avec Flo ! « Malthus m’habite ! », a-t-il crié sous cape, excédé par les incessants et exclusifs pompages de sa maîtresse, qui l’ont potentiellement dépossédé de tout prolongement, même hypothétique et refoulé, de son être… Nul enfantement avec la fellation. Un certain pouvoir de projection était-il lésé en lui, de la sorte ?

 

Cher Volodia, ce qui a été dit ayant été dit, nous livrerez-vous, la prochaine fois, un vrai roman d’amour ? À la réflexion, et pour l’honneur du nom de chrétien, vous ressaisirez-vous ? La prochaine fois, n’ergotez pas, soyez un chrétien conséquent ; et l’amour sera au rendez-vous, avec fiançailles, mariage et enfants à la clef… du Ciel.

 

Votre milieu, corrompu et ambitieux d’une gloire factice, vous l’interdit-il ?

 

Nonobstant le fait que vous puissiez vous amender, je terminerai aussi vertement injurieuse qu’est faussement vertueuse votre prose. Je vais être exceptionnellement vulgaire pour vous obliger : « Si vous avez des couilles, vous répondrez à cette lettre ! »

 

Je suis percussionniste et vous ne décrocherez pas avec moi la timbale ! Osez approcher, et je vous en décoche une !… Je ne vous interdis cependant pas de vous défendre.

 

Dégoûtée par votre orchestration malsaine des sentiments les plus nobles, veuillez recevoir mon affront de plein fouet.

 

Alexandra Lampol-Tissot

 

 

© Hypallage Editions – 2016

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