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OUVERTES À

LETTRES

Critique de l’apologétique

Lettre ouverte à Jean Birnbaum au sujet d’Amélie

 

 

 

Monsieur Jean Birnbaum,

 

Il va de soi que nous ne nous connaissons pas. Il n’empêche que nous avons un sujet commun de préoccupation : mademoiselle Amélie Nothomb.

 

Vous venez, dans la livraison du Monde des Livres n° 22305 du 30/09/2016, de gratifier Amélie d’un tressage de lauriers digne d’une gloire auguste qui eut laissé Rome songeuse… Vous vous livrez plus qu’à un exercice d’admiration, quand vous devenez expressément apologiste de l’œuvre et de sa performeuse.

 

Je souhaite débattre avec vous de cette inclination totale qui est vôtre pour Amélie, vous proposant, en quelque sorte, une contre-expertise de vos dires et de ceux de celle que vous citez, élogieux et conquis, didactique et sentencieux, elle-même vibrante mystique, jouisseuse métaphysique, incarnée beauté du verbe de vie !

 

J’ai hésité, jusqu’au point de rupture, à dégainer une fois de plus mon katana, comme me suggérait Romaric Sangars de ne pas le remiser trop tôt, l’usage en pouvant redevenir pressant. Cependant, deux coups de taille successifs, pourtant parfaitement ajustés, n’ont pas permis de venir à bout du chef ahurissant d’Amélie, et bien qu’elle ne soit pas publiée à l’Herne toujours foisonnant. J’ai donc renoncé à l’abus de la force pour la présente. J’admets aussi que la décapitation est aujourd’hui un privilège exclusif des Levantins… J’imaginais l’achever gloubiboulga, faire « flac flac » dans sa cartilagineuse bouillie, vous éclaboussant au passage, Jean Birnbaum, du jus de ses abats scabreux. Mais il me faut être plus subtile. Je ne vous menacerai donc pas de mort, non plus, vous qui l’eussiez amplement méritée, thuriféraire mercenaire que vous êtes : oui, allez, vous pouvez reprendre votre souffle… Je ne porterai pas davantage atteinte au minois d’Amélie.

 

Nous irons au cœur de la lettre. Une exégèse serrée, chirurgicale, des dires d’Amélie, s’impose, prose contre prose, trope pour trope, jusqu’à la sanction finale, quand taxis et praxis des mots en jeu balanceront d’un côté l’autre pour consacrer la victoire irré-vocable d’une seule d’entre nous deux ! Les mots, dont Amélie fait sa jouissance quotidienne, serviront à nous départager. Permettez, monsieur l’arbitre des élégances, de juger des affronts faits à la langue qu’en bonne herméneute je m’en vais relever chez notre auteure en pleine séance d’orgasme de sa propre prose. Il faudrait ici saluer Amélie pour la jouissance procurée par sa langue en fellation des mots ; la louer pour l’orgasme atteint, sans que l’on puisse en produire un seul témoin : l’auto-congratulation, aussi reluisante soit-elle, vaut-elle pour reconnaissance universelle du génie, ou s’y substitue-t-elle ? L’onanisme minable de ses petites lèvres glapit des inepties en cascade : « Oh ! ah ! Ah ! oh ! » sont les petits cris qui croient de leur écho de pygmée d’encrier déclencher l’avalanche du Kilimandjaro...

 

Je n’invente rien, réécoutons Amélie décrire par le menu ses extases :

 

« J’essaie de retrouver cet émerveillement qu’on a lorsqu’on prend possession d’un mot et qu’on rejoint l’idéal que le jeune Déodat, dans mon roman, attribue au chant des oiseaux : abolir la différence entre le fond et la forme, entre le sens et la beauté. Le pire c’est que, parfois, ça marche ! Alors je me mets à trembler violemment, je crève de froid, bien plus qu’à l’époque où je consommais toutes sortes de champignons et autres substances psychédéliques… Lorsque je suis dans cet état de transe, j’ai le sentiment que le mot « chat » est bien plus réel qu’un chat qui se trouverait à côté de moi. […] Dans la vie ordinaire, nous devons nous abstenir de jouir tout le temps. Cela pose des problèmes techniques. Ce n’est pas le cas avec la littérature. Il n’y a pas de limite au plaisir qu’on peut prendre à évoquer les choses » (extrait de votre papier sur Amélie, Monsieur Birnbaum).

 

Une première remarque sur la perpétuité de l’orgasme : déjà que c’est pénible de simuler le soir au lit avec Julien, s’il faut en plus simuler toute la journée au bureau, passez-moi immédiatement la DRH pour une reconversion professionnelle rue Blondel… Qu’on la foute, l’Amélie, quelques jours au Jardin des supplices de Mirbeau, et elle nous en dira des nouvelles des jouissances sans dénouements… C’est même syntaxiquement impossible ! « Cela pose des problèmes techniques », déclare l’intéressée, et pour cause, car comment savoir à travers ses mots si le « problème » se rapporte au fait de s’abstenir de jouir tout le temps, ou, de manière plus improbable, au fait de ne pouvoir s’empêcher de jouir sans cesse ? MBK, dans un essai pénétrant intitulé Être et sexuation, cite les cas cliniques, rarissimes fort heureusement, d’hommes et de femmes victimes accidentelles d’orgasmes redondants, incontrôlables et sans répits. Le bilan de l’expérience « sans limites » a vite fait de tourner à la séance de torture, conduisant à la dépression et au suicide…

 

Une seconde remarque s’impose à nous ensuite au sujet d’Amélie, qui a pour corps éthéré de sa jouissance les psychotropes. Ainsi Mademoiselle Amélie est amatrice de la psilocybine. Je me propose ici de dénoncer au législateur ses chapeaux mous en forme de champignons, qui sont une incitation ostentatoire à la consommation illégale de drogues dures, dont la législation sur les stupéfiants condamne fermement la réclame. Enfin de « conte », son Riquet à la houppe est moins drôle que Oui-Oui au pays des jouets bien qu’Amélie soit aussi timbrée (au LSD) que l’était Enid Blyton. Quant à sa nomination comme académicienne (belge), rappelons que notre Académie française préféra Claude Farrère et ses Fumées d’opium au Claudel de L’Annonce faite à Marie ! Tout le monde peut se tromper, Monsieur Birnbaum, je vous le concède.

 

Je ne reviendrai pas ici sur la question de l’élection de la Nothomb à l’Académie royale de Belgique au fauteuil du défunt et malheureux Simon Leys. J’ai déjà dit tout le mal que je pensais au sujet des cette ignoble usurpation de titre : je renvoie mes cyberlecteurs à ma lettre intitulée : Crime de « Leys majesté ». Le libelle, envoyé au Brabant, n’a pas même reçu AR de la part des Belges académiciens. Tiens donc ?

 

Dans son discours de réception, Amélie, pas un poil étouffée par le toupet, déclarait, péremptoire, spoliant et subvertissant l’éthique du grand Simon Leys :

 

 « Chez Leys, cette clarté relevait d’une très haute exigence morale : à ses yeux, un écrivain pas clair n’était pas seulement un mauvais écrivain, mais une mauvaise personne. »

 

Mais vous parlez pour vous, Amélie : vous nous parlez de vous !

 

En voici la preuve par l’inexactitude de sens de vos déclarations à Jean Birnbaum. Je cite votre prise de parole, édifice orgueilleux de façade et branlant des fondements, recueillie et rapportée par Monsieur le directeur éditorial du Monde des Livres en personne :

 

« Le beau c’est ce qui nous met devant la transcendance, devant Dieu, sans qu’on sache trop quoi mettre sous ce mot. D’où l’impression de lumière. Chez moi, cela se joue essentiellement sur la syntaxe. J’essaie d’avoir une syntaxe d’une grande fermeté et d’une grande clarté. »

 

Quel est cet étrange flottement ?… À qui se rapporte la subalterne « sans qu’on sache trop quoi mettre sous ce mot » ? « ce mot » ? mais lequel ? Dieu, la transcendance, ou le beau ? Rien ne permet de savoir, petite perverse, s’il s’agit d’honorer le néant du beau ou de Dieu. Le doute est là ; et voilà ce que nous récoltons à vous lire : le doute. Que mettre sous le mot de « Dieu » dans votre bouche ? Le beau ? Oui, à suivre votre pente syntaxique fatale, la beauté pourrait remplacer Dieu ! Du reste – bien maigre lorsque l’on a évacué Dieu –, ne professez-vous pas un peu plus loin : « Moi, je suis adoratrice de la beauté. » Et vous voici promue vestale aux petits pieds bandés, prête à toutes les prostitutions du paganisme… Or, Phrynée de pacotille, sachez que « rien n’est beau que le vrai : seul le vrai est aimable » (Nicolas Boileau, Épître IX). Mais vous êtes du côté de Perrault, des Modernes contre les Anciens ! La littérature a tranché : déclassant Perrault et tous les autres « modernes » académiciens redevenus inconnus ; la Clarté c’est assurément Boileau, tant que la Beauté aura toujours Racine chez nous !

 

Quant à la phrase suivante : « D’où l’impression de lumière », elle est sans sujet ni verbe, dites donc ! « D’où » d’où ? D’ailleurs ? Que dites-vous donc ? Vous venez d’inventer l’anacoluthe vermoulue ? « D’où » il ressort (cassé) un décrochage logique (entre les deux phrases citées plus haut) : le lien est aussi lumineux que défait. Le mot « lumière » apparaît dans son exposition crue sans aucun rapport avec la phrase précédente, qui, lorsque nous avons tenté de la reparcourir, était porteuse d’obscurités sémantiques irréversibles, « d’où » la soi-disant « lumière » soudaine invoquée incapable de résorber l’éclipse du sens.

 

Oui, par la pratique assidue des règles que vous vous êtes fixées, à l’évidence, votre « syntaxe est d’une grande fermeté et d’une grande clarté. » Mais de la gueule de qui se fout-on et tatami ! Quand une ânesse se prétend fille des pulsars, que faire ? Lui conseillera-t-on… grossièrement… de… fermer sa gueule ? Oui ! et le plus tôt possible. Et n’y revenez plus, ou je vous envoie sur les roses, Trémière !

 

Mais ne mollissons pas en chemin : il est encore quelques traits de votre esprit torve qu’il me « faille » aligner adroitement… Passons, maintenant, à la face obscure, cachée, de votre personnalité. Mais je vous redonne la main, un court instant, Monsieur Birnbaum, pour que vous nous fournissiez la matière idoine :

 

« Quand on lui demande comment elle a traversé les événements récents, comment elle a vécu les attentats, par exemple, et le fait qu’Amedy Coulibaly, l’auteur de l’attaque contre l’Hyper Cacher, le 9 janvier 2015, ait revendiqué son acte dans une vidéo où l’on apercevait, juste derrière lui, son roman Hygiène de l’assassin (1992), Nothomb s’en remet d’emblée à ses fondamentaux. Aux tueurs qui se réclament de Dieu, elle oppose sa joyeuse mystique » (Jean Birnbaum, ibid.).

 

Amélie passe ouvertement à côté du délit ; elle ne saisit pas la perche, la nullité en marketing : le coup était pendable : sur ce gibier de potence, Amélie, aux premières Loges (sic), exaltée, aurait dû se jeter, poussant toujours plus au crime ces foules d’illuminés sous la conduite sanglante de son « petit guide pratique », réglant l’hygiène de l’assassin, lui enseignant la contrainte d’ablutions avant la prière après un attentat, lui garantissant une « jouissance sans limite » dès ici-bas sous captagon, puis au Ciel la délectation de la Beauté incarnée par 72 vierges. Quel ratage ! Ne pas assumer un héritage politique si littéraire, quel gâchis ! Elle eut été l’égale de Salinger, dont l’Attrape-cœurs guida le geste des apprenti-assassins de Lennon et de Reagan (NDLR : liste non exhaustive – nous veillerons au fil du temps à compléter celle des tueurs adoubés et armés par Amélie).

 

Tout de suite, « notons » la formule marmoréenne d’Amélie : « Il faut sans cesse réaffirmer que la plus haute justice, c’est de jouir sans limites. » C’est aussi celle de l’assassin, Mademoiselle !

 

Maintenant, et pour finir – oui, je sais, lire tout cela vous aura été pénible, et à moi donc de l’avoir écrit ! –, passons Riquet à la loupe…

 

Grâce à votre exquise diligence, Monsieur Birnbaum, nous goûterons directement la cerise, nous évitant un achat onéreux et une lecture fastidieuse (si, si, je suis pauvre et cossarde). Je vous félicite, ô patenté critique, pour ce choix ciblé en plein dans le mille, adresse diabolique dans l’art de la citation pour laquelle il faudra payer des droits d’auteur, mais nous verrons cela bientôt, au Malin. Aussi citons la précieuse perle pour l’acquisition de laquelle vous sacrifiâtes tout le reste :

 

« Tous les bébés sont seuls et il l’était encore plus que les autres, laissé à lui-même dans ce berceau qui lui servait d’univers. Il aimait la solitude : livré à sa propre compagnie, il n’avait plus à composer avec les apitoiements et pouvait s’adonner à l’ivresse d’explorer son cerveau. Il y découvrait des paysages si grands et si beaux qu’il apprit très tôt le noble élan de l’admiration. Il pouvait s’y mouvoir à volonté, changer les prises de vue et écouter le son qui parfois surgissait à l’infini. C’était un vent qui soufflait si fort qu’il devait venir de terriblement loin. Sa violence le faisait se pâmer de plaisir, il contenait des bribes d’un langage inconnu […] Le jeu consistait alors à se laisser envahir par l’immensité du néant. Triompher d’une telle épreuve le remplissait de joie et d’orgueil » (Riquet à la houppe, p.16-17).

 

De quoi nous parle ici véritablement Amélie ? De la naissance de son Déodat qui pue la transpiration fétide sous les aisselles et les mofettes de selles non recyclées ? Non, Amélie nous parle de la naissance de… Lucifer, qui vit se lever son étoile un matin, mais qui n’accédera jamais à la Connaissance du soir, à savoir sa rencontre avec Dieu, l’ange devenu démoniaque préférant la contemplation de lui-même à la Grâce nécessaire pour découvrir l’Autre !

 

Relisez l’extrait du petit Riquet et transposez théologiquement… Si vous manquiez d’expertise en la matière, je vous renvoie au livre Apocatastase de Damien Saurel, mon boss. Oui, certes, il n’y a pas que vous, Monsieur Birnbaum, qui soyez contraint à passer la brosse à reluire à ceux dont vous êtes l’obligé.

 

Or, donc, Amélie ne croit pas en l’amour de Dieu, car pour elle « le mot « amour » est le pire des truismes ». L’amour, un truisme ! Et voilà qu’Amélie fait sa Darieussecq, les cochonnes se concurrençant sur le saucisson. L’amour détruit… est-ce cela votre jouissance ? Diabolique créature, avoueras-tu tes instructions méphistophéliques ? Parler mal de l’amour, de qui est-ce tenir le langage ? Le truisme se rapproche de la tautologie… Or, l’amour n’est pas tautologique puisqu’il est don, don de soi à autrui. Vous caricaturez le plus grand bien divin, l’essence même de Dieu. Cependant, même en le rapportant à un blasphème, inconscient ou non chez vous, je ne vois pas très bien ce que le mot « truisme » signifie ici accolé à celui de l’amour ? Ma catéchèse aura tenté, in extremis, de vous extirper de la catachrèse. L’amour ne sera jamais une expression triviale lexicalisée !

 

Mais concluons : comment traitait-on les diaboliques de votre espèce ? On prenait jadis soin de les ardoir. Après avoir fait usage de son glaive, c’est par le feu qu’Héraclès triompha de l’hydre ! Mademoiselle Amélie, je troque le fer contre la flamme, et vous embrase bien fort.

 

Ah, j’allais vous oublier ! Monsieur Birnbaum… Monsieur Jean Birnbaum… Quant à vous, Monsieur le directeur éditorial du Monde des Livres, je laisse la charge à « Vilaine Lulu », qui est actionnaire de votre journal, de vous apprendre ce qu’il en coûte de se bâfrer à la table du Diable avec une si courte cuillère. Comme disait Baudelaire : prêtez-lui un cheveu et il vous arrachera la tête !

 

Alexandra Lampol-Tissot

 

 

PS : si je m’étais lâchée qu’eussé-je dit !

 

 

© Hypallage Editions – 2016

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