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OUVERTES À

LETTRES

Pasticheur killer

Lettre ouverte à Pascal Fioretto

 

 

Ô pasticheur inimitable,

 

Merci. Oui, un grand merci à vous. Je commençais à manquer de cœur devant l’ampleur du travail à abattre. Et je découvre, soulagée et reconnaissante, que vous avez pris en charge de rectifier le portrait d’un nombre important des inopportuns figurant sur la liste, non exhaustive, des auteurs condamnés. Mon rôle de « serial killeuse » me pesait depuis la seconde exécution, longue et pénible. Il n’y a là aucun plaisir, même sadique, à mettre à mort. J’en admire d’autant plus votre méthode, qui entretient avec la victime un rapport élégiaque respectueux. Violente et sans concessions, j’avais tendance à frapper sans retenue. Il me faut désormais méditer votre approche, à la fois plus enveloppante et plus pernicieuse, plus juste, en somme, car factuelle, moins subjective, et d’une honnêteté scrupuleuse dans le traitement infligé.

 

Cependant, force est de constater que dans l’histoire de notre littérature les pasticheurs se comptent sur les doigts de la main. Avant même d’en égrener, pour l’apologie du métier, la courte cohorte, veuillez ici assumer d’y figurer comme le plus brillant représentant. Car à la différence de ceux qui ont su tirer d’illustres écrivains le « portrait littéraire en action », vous, face à de contemporains auteurs évanescents ou fâcheux, n’avez pu vous appuyer sur vos sujets d’étude. Les oraisons funèbres que vous avez prononcées, en redoutable « Aigle de maux », sur leurs pets circonspects et quasi muets, vont les immortaliser. Rendez-vous compte que grâce à vous, à votre talent, risquons même de déclarer grâce à votre art, ces gens de rien ou de si peu survivront dans les manuels de littérature par le don de votre plume. Les vrais critiques vous célèbreront longtemps. J’augure de votre triomphe face aux clepsydres. Cependant, pour goûter pleinement à la rigueur implacable du trait qui massacre sans appel, les lecteurs à venir devront, pour partie, exhumer les textes que vous avez revisités et sublimés. Là réside l’unique grief que je puis formuler à votre encontre, bien qu’il s’agisse d’un contresens en l’occurrence. Comment pourriez-vous être génial sans leur médiocrité ? Vous opérez de telles substitutions miraculeuses à partir de leurs proses délavées et minces qu’il me semble les lire avec intérêt et dévotion pour la première fois.

 

Non, non, c’était trop beau, je ne pouvais compter sur vous, vous qui embellissez la triste platitude de la mièvrerie désespérante, vous qui comblez le vide informel des pensums pléthoriques. Taxidermiste époustouflant, nécromancien rocambolesque, souteneur de la vingt cinquième heure de morues desséchées, héraut flamboyant de leurs maigres flammes vacillantes, ô ténébreux officiant, ô despotique artiste, ô ironique moqueur plein de mansuétude, pourquoi vous êtes-vous appliqué à immortaliser de telles carnes ?

 

Voyez, il me faut reprendre les armes, les seules qui vaillent, celles qui exécutent sans flatter la postérité, qui d’un trait mettent court au long terme, ici et maintenant, et qu’on n’en reparle plus jamais.

 

Vous vous êtes fourvoyé, Pascal, et les pasticheurs que j’avais annoncé célébrer, les Muller et Reboux, les Jean-Louis Curtis, les Georges Fourest, les Jean Pellerin, les Gordon Zola blâment, j’en suis certaine, vos avances tortueuses faites à toutes les pouliches faméliques hystériques et à tous les balzanes quatre dopés écumants qui battent de leurs gros sabots de parvenus le pavé doré du sérail germanopratin. Revoyez-les lorsqu’ils se sont rapprochés de vous honteux et redevables de cette postérité que vous leur avez accordée, qui feignant d’avoir ri, qui jurant d’amender son « style », qui regrettant que vous n’en ayez pas fait davantage pour sa gloire posthume, qui encore prenant outrage de l’hommage tant il est con !

 

Ah, si ! je suis injuste, il y en a un que vous exécutez vraiment, c’est DHL (sic). Votre Barbès Vertigo est un chef-d’œuvre de guillotine attentatoire et sans recours. Merci, Pascal, pour notre humanité, d’avoir mis hors d’état de nuire DHL (re-sic), cet oiseau de malheur mazouté à toutes les pollutions sécularisées, ce messager de la plaie et de la gangrène, ce VRP du chaos impérialiste, ce nouveau reliquaire du dibbouk de Malraux, ce Trebitsch-Lincoln de l’exportation des conflits ! Dies irae ! Qu’on le pende à sa seule lanterne éclairée !

 

Bon, ceci-dit, j’ai encore beaucoup de pain sur la planche…

 

Veuillez, maintenant, cher Pascal, agréer l’expression de mon admiration contrariée pour votre ouvrage en demi-teinte à moitié collaboratif de mon labeur inachevé de sisyphe de l’épuration des Lettres.

 

Alexandra Lampol-Tissot

(Membre du comité de lecture chez Hypallage Editions)

 

 

© Hypallage Editions – 2015

 

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Réponse de Pascal Fioretto

 

 

Cher Monsieur Saurel,

 

J’ai bien pris connaissance de la lettre ouverte que m’a consacrée l’une de vos collaboratrices à la plume lyrique et néanmoins bien aiguisée.

 

Puis-je vous demander de bien vouloir la remercier de sa missive, car, outre la leçon d’éloquence qu’elle m’a administrée, elle a su faire preuve de suffisamment d’indulgence envers nos « grands auteurs » contemporains pour que ceux-ci s’en remettent d’ici à la prochaine « rentrée littéraire ».

 

Bien confraternellement,

 

Pascal Fioretto

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