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OUVERTES À

LETTRES

Sans titre

Lettre ouverte à Marc Levy

 

 

Monsieur,

 

Il me faut vous informer que vous figurez en seconde place – et je ne vous en fais pas compliment –, sur la liste que Catilina m’a fournie. Forte de ce pouvoir discrétionnaire d’opérer sur votre chétive personne à ma guise, je m’en vais sur-le-champ vous faire sauter la tête !

 

Ah ! ah ! Comment ? vous protestez… Seule une question d’ordre technique vous autorise à vous rebiffer, car autrement vous n’y seriez plus pour contester le fait radical de votre décès. En effet, mon katana encore éclaboussé du sang d’Amélie réclame que sa lame soit épongée et que son métal retrouve tout son mordant.

 

Non, non, taisez-vous ! Le temps de nettoyer l’arme, c’est moi qui vais vous juger, péremptoire, et vous n’avez rien à y redire. Votre sort est scellé. Bon, j’ai auparavant déjà essayé, avec plus ou moins de succès, de nettoyer le fil du sabre avec de la soie, du satin… Je vais plutôt me rabattre, ce coup-ci, sur le velours, plus absorbant sans pour autant être abrasif, ce qui pourrait nuire aux performances de l’arme et rendre plus douloureuse votre exécution. Où en étais-je ? Ah, oui, votre acte de condamnation à mort doit vous être notifié dans l’intervalle.

 

Vous êtes le père de truismes effroyables, le collectionneur compulsif des catachrèses involontaires, le bouffon aux grotesques kakemphatons, le cumulard des fautes de syntaxe, des formules impropres et des choix douteux d’appositions. Vous possédez si bien notre langue qu’il me vient une intuition, vous-même étant résident depuis plus de vingt ans à New York, que vous écrivez vos romans en anglais, pour qu’ensuite un indigne éditeur complice et taiseux les fasse traduire en mauvais français. Il est vrai qu’il serait commercialement dangereux de dérouter votre lectorat en introduisant parmi l’avalanche d’asyndètes ne serait-ce que l’ombre d’une liaison logique, d’une seule conjonction de subordination. Quant au précieux subjonctif, il relève chez vous de l’amputation cérébrale, dont votre matière grise ne saurait imaginer l’efficience du dynamisme psychique.

 

Et zut ! le tsuba aussi a été maculé et dois être épongé. Voilà pour vous un nouveau sursis inespéré. De vous à moi, avouez que vous avez toujours été un petit veinard. J’ai vu dans les archives de l’INA Pivot vous conviant à son émission cathodique pour vous consacrer écrivain d’imagination indépassable, déclarant qu’il ne pouvait pas ne pas vous inviter tant l’idée de votre premier roman était géniale ! Et dans la foulée le grand Spielberg de déclarer qu’il y mettrait le prix, mais qu’il lui fallait impérativement obtenir – sans vous avoir lu ? – les droits de votre histoire pour la porter à l’écran dans les délais les plus brefs. Mazette ! si ça, ce n’est pas du baptême dans les flots du Niagara, il ne reste plus qu’à invoquer le déluge une fois encore pour célébrer votre prose !...

 

Non, décidément, vous jouissez d’une exceptionnelle baraka. Mon collègue au Comité de lecture d’Hypallage, Jean Durtal, me soutient que vous tiendriez cette chance insolente de l’aide de Méphisto ! Bah, vous n’auriez pas osé le pacte ; l’audace n’est pas dans votre caractère. Et puis le résultat est loin d’être du Goethe…

 

N’allez pas ici croire que la question de l’enfer puisse retenir mon bras impitoyable tel celui d’Hamlet découvrant ce cloporte de Claudius abîmé en prières ; mais pour le prince d’Elseneur le dilemme était inverse, lui-même ne voulant pas expédier sa victime au Ciel tandis qu’il méditait contre elle une vengeance qui se prolongerait aussi dans l’autre monde… Suivant la dramaturgie racinienne, je suis plutôt de la trempe d’Oreste liquidant Pyrrhus sous le regard impuissant et médusé des dieux ! Je suis une des Érinyes sauvages. Je suis l’amazone à l’intacte poitrine, car je manie le sabre et non l’arc. À ce propos, vous venez de gagner un délai supplémentaire, car, guigne sur guigne, voici que le galuchat de la poignée de mon katana est poissé ! Je finirais par croire qu’une force démoniaque vous protège… Quoi qu’il en soit, tout pacte comme tout médicament générique a ses multiples effets secondaires indésirables, et je m’inscris inéluctablement dans cette cascade d’accidents notables à venir.

 

Je profite de cet ultime nettoyage de l’outil suprême de la justice pour vous asséner quelques vacheries complémentaires. Je vous revois sur cette photo pleine page de vous en interview promotionnel avec le Figaro Madame, sur laquelle vous posez faussement cool, les pieds nus sur le macadam new-yorkais, en jean délavé et chemise blanche légère sous une pluie fine, dont on imagine en croisant votre regard qu’elle vous agace, et que pour le montage il vous fallut risquer d’attraper un rhume aux redoutables conséquences… Mais quel est le secret de cette lueur terne d’inquiétude dans votre regard ? Franchement, tant de fausseté si mal habillée vous campe à merveille, vous, l’auteur aux 250 mots différents par livre, quand un simple Oui-Oui en aligne 1400 !

 

Quand je pense que dans la bibliothèque de vacances de mes beaux-parents, chacun abandonnant chaque été les déchets de ses lectures de plage, vous vous retrouvez fournir le plus gros contingent de platitudes, et ce non pas seulement en Poche, mais en éditions grands formats à plus de 20 euros pièce, les bras m’en tombent. Non, je dois affermir mes muscles afin que mon geste porte enfin ! J’ouvris au hasard, l’été dernier, un de vos titres, et je tombai sur cette scène d’une brutalité psychologique que seul peut expliquer le manque alarmant de vocabulaire des protagonistes, l’héroïne ouvrant sans sommations le feu sur l’agresseur de son amoureux. Pan ! pan ! Le type a été abattu, rectifié direct, sans aucune explication autre que le réflexe le plus sommaire d’animalité. Tchac ! C’est à votre tour d’en faire le triste constat. Aïe, j’ai perdu de vue votre tête dans son envol incontrôlé depuis la terrasse panoramique de votre penthouse surplombant Central Park !... Je ne pensais pas – oups ! – que vous aviez le spondyle spongieux et le port si lâche…

 

Ouf ! Je commençais à douter d’en venir à bout. Et de deux !

 

Alexandra Lampol-Tissot

(Membre du comité de lecture chez Hypallage Editions)

 

 

© Hypallage Editions – 2015

 

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