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Lettre de refus à Guillaume Musso

 

 

 

Devant la qualité des tapuscrits parvenant régulièrement aux Editions Hypallage, parmi lesquels il est parfois bien difficile de choisir, je me suis amusée à imaginer quelle réponse pourrait être envoyée si tel ou tel auteur à succès venait à nous présenter son tapuscrit. En guise d’exemple, imaginons qu’un certain Guillaume Musso à ses débuts nous ait envoyé son livre, en vue d’une demande d’édition. Voici la réponse que je lui aurais apportée si le comité de lecture m’avait chargée de rédiger le refus.

 

 

Cher Monsieur,

 

Nous avons bien reçu votre texte Et après, et vous en remercions. J’ai pu constater que vous êtes friand de ce genre d’intitulés : « Et ensuite », « Le jour d’avant la veille », « En ce moment », « Présentement », « Après-demain »… S’il ne s’agissait que de changer le titre, nos éditions pourraient s’en charger et vous en proposer un autre.

 

Pour ce qui est de votre synopsis, certes assez « bateau », mais grand public, il aurait pu être considéré comme un simple support pour un exercice de style qui, lui, eut été exceptionnel. Or, c’est là précisément que le bât blesse. Vous l’aurez compris, nous ne pouvons accepter votre roman, et ce en raison principalement de votre style, ou plutôt de votre absence de style. Ne souhaitant cependant pas vous laisser dans la nature sans vous souffler quelques pistes de réflexion, je me permets ici de développer ce dernier point.

 

J’ai remarqué qu’il vous arrive, par exemple, de vous essayer à la description, pause nécessaire dans tout roman pour permettre au lecteur de reprendre ses esprits après une accélération de l’action (même si par exemple d’excellents auteurs comme Erwan Séry en usent très peu), ou bien par exemple pour camper le décor d’une scène, en annonçant à travers la description la teneur de ce qui va se jouer. Or, vos descriptions décrivent, c’est tout. Ou plutôt énoncent. Puis, vous passez très vite à autre chose. Nous ne sommes pourtant pas dans un film de cinéma américain où tout doit aller très vite ; du moins je ne pense pas que ce soit ce que vous recherchez. Si c’était le cas, je vous conseillerais, comme je pourrais également le suggérer à Mark Lévy, d’écrire des scénarii pour le grand écran, domaine dans lequel vous pourriez réussir.

 

Mais dans un roman, décrire ne consiste pas simplement à nommer les éléments du paysage, ou les meubles composant telle pièce, et de conclure que tout cela dégage une atmosphère lugubre, ou cossue, ou je ne sais quoi encore. Il s’agit au contraire, par le choix judicieux des mots et le pouvoir de l’évocation (il existe de nombreuses figures de style permettant cela), de suggérer cette atmosphère ; ainsi vous n’aurez pas même à la nommer. Le lecteur aura compris de lui-même.

 

Il en va de même pour les personnages. Plutôt que de décrire le personnage par sa taille, la couleur de ses cheveux ou de son veston, pour terminer en ajoutant qu’il dégage une certaine « présence », il serait préférable que, soit par la description du personnage, soit par la force des dialogues, soit par tout autre moyen, vous parveniez à dégager cette impression de toute sa personne en ne gardant que les éléments descriptifs allant dans ce sens. Et là encore vous n’aurez même pas à utiliser le mot « présence », car le lecteur aura déjà ressenti cette « présence » du personnage.

 

Vous comprenez, votre écriture évoque la démarche du moineau, sautillant de droite à gauche, picorant de-ci de-là sans jamais se fixer réellement sur quelque chose. Et notre lecture sautille avec vous, ce qui est très fatigant. Pas de mots de liaison, parfois pas de lien tout court entre deux idées, pas d’usage de la relative et, qui plus est, un vocabulaire des plus sommaire. Je me suis même demandé si cet appauvrissement systématique de la langue, ce parti-pris de choisir systématiquement le mot le moins recherché, le plus basique, le plus creux, n’était pas un choix littéraire, une volonté de vulgarisation de la langue française comme cela a pu être fait avec la réécriture récente des classiques enfantins. Sachez que même si nous vous laissions le bénéfice du doute, nous vous opposerions le même refus, cet appauvrissement de la langue n’entrant pas dans notre ligne éditoriale. En revanche, si vous souhaitiez vous améliorer sur ce point, je ne saurais trop vous conseiller l’usage d’un dictionnaire des synonymes qui vous permettrait, tout en enrichissant votre texte, d’enrichir du même coup votre vocabulaire.

 

Je ne m’étalerai pas plus dans cette lettre, sachant que nous avons beaucoup d’autres textes d’auteurs à étudier. Si vous souhaitiez toutefois persister dans la recherche d’un éditeur, je vous suggère de proposer votre texte aux éditions XO, qui sont beaucoup moins exigeantes que nous.

 

Avec mes regrets les plus sincères,

 

Mélanie Rottweiler

 

 

© Hypallage Editions – 2016

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