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OUVERTES À

LETTRES

Hygiène de l’assassin !

Lettre ouverte à Amélie Nothomb

 

 

Mademoiselle Nothombinsane,

 

Mes congénères de la rue d’Ulm m’ont surnommée « la Khâgneuse hargneuse ». Je suis supérieurement « Normale », et il découle de cette noble évidence que je me sois autoproclamée Présidente du Comité d’épuration nationale du catalogue mercantile et honteux de l’édition postmoderne. Et qui ai-je trouvé en tête de liste de mes Catilinaires ? Vous, Amélie ! Je vous préviens ici que je ne vais pas vous épargner. Je vais vous lacérer le visage à grands coups de griffes de wendigo ! jusqu’à ce que votre blême carnation crache un reste d’hémoglobine improbable, que le cartilage de votre pif soit mis à nu et que vos lèvres fendues pendent d’une moue atroce définitive. Dans la foulée, je réduirai votre ridicule galurin en confetti de carbone.

 

Souhaitez-vous poursuivre cette lecture ? Je déconseille à votre ego morbide d’activer encore de la dopamine narcissique pour vous pousser jouissive vers la fosse que je vous réserve… Watashi no katana o dékiru ! Dans une vie antérieure, je fus l’assistante à la décollation de feu Mishima. Je suis prête à remettre pour vous le couvert. Votre pseudo tentative de suicide à l’âge de trois ans par noyade dans un bassin de poissons japonais aux bouches ignobles vous conviant à l’engloutissement ne me paraît pas avoir été efficacement menée à terme, puisque vous végétez encore… Permettez-moi d’être pour vous moins émoussée, parfaite dans l’ajustement de la masse et du tranchant nécessaires à l’exécution de votre projet enfantin avorté. Tchac ! votre chef surplombé de sa feutrine cabossée vient de parcourir l’éclair d’un instant le ciel fugitif de la presse des faits divers. « Mais pourquoi tant de haine ? », me demanderez-vous dans un rictus indigné et dans un spasme mécanique de votre bouche déformée sur le menton de cette caboche sitôt rapprochée du niveau du sol. Mais parce que vous êtes un escroc…

 

Vous occupez impunément la place d’une autre, d’une véritable auteure, qui est moi-même. Je veux sur votre succès usurpé construire ma carrière d’artiste absolue, dussé-je pour cela vous exterminer, tel un sicaire féminin sans pitié. N’avez-vous pas honte depuis tant d’années d’occuper, à l’insu des vrais talents en germination brutale et des écrivains à textes fulgurants, le devant de la scène littéraire, prostituant le don de l’écriture aux encres de votre inepte moi mesquin ? Mais achevons l’exécution sans plus tarder. La liste est encore longue des inavouables parasites des Lettres qu’il me faut éradiquer dare-dare.

 

Votre père, arpenteur excentrique et privilégié du Yumé no chimata, a dû, dès vos débuts de seiche, considérer vos premiers jets comme un grotesque kyôgen, comme une impasse filiale délétère, comme un Holzweg. Car enfin, vous êtes stérile. Votre patronyme et votre prénom, l’un à l’autre soudés par un génitif nippon de mauvais augure, trahissent en creux cette destination catastrophique et irrémédiable, ce néant gourmand que vous mettez dans chacun de vos livres inconsidérés et vains. Je m’explique, car vous avez abandonné trop tôt la pratique de cette langue insulaire explicite : en japonais, le déterminant précède le déterminé, entre eux reliés par l’enclitique no. Je traduis ainsi votre identité profonde par « la tombe d’Amélie ». Confirmez-moi, je vous prie, que l’on prononce bien le « b » de votre nom en Belgique et l’épitaphe sera résolument gravée en dur dans le brut du marbre de votre caveau. Il ne me reste plus qu’à y jeter votre dépouille… Mais, que dis-je, vous vous y teniez déjà, zombie prolifique de son propre néant !

 

Cependant, avant de vous exécuter d’un trait d’acier stupéfiant, je me dois de vous accorder une dernière volonté. Non, ne dites rien, je vous connais assez (avec lassitude, il est vrai) pour avoir deviné. Ô saphique refoulée, je vous accorde un rendez-vous pour prendre le thé (Ô Cha alors ?) avec la Grande prêtresse d’Isis en personne, Mylène Farmer, dans son antre tamisé et malsain. J’imagine les tasses de Yédo trembloter sur le plateau laqué qu’elle vous tend, elle-même partageant votre émoi informulé… N’est-ce pas que je vous ai gâtée ? Allez, il n’y a plus rien à regretter, maintenant. Tiens ! votre tête vient d’aller embrasser celle de Mishima en un obscène et traître baiser. Ah, les goûts et les couleurs !...

 

Alexandra Lampol-Tissot

(Membre du comité de lecture chez Hypallage Editions)

 

 

© Hypallage Editions – 2015

 

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En tant que Président d’Hypallage Editions, j’avais écrit chez Albin Michel à Amélie Nothomb pour lui signaler qu’une de nos collaboratrices avait publié (sur notre site) une lettre ouverte à elle adressée. Mademoiselle Nothomb m’a ensuite répondu, par voix de courrier postal, ce qui suit :

 

Lettre d’Amélie Nothomb de Paris en date du 27/05/2015.

 

« Cher Damien Saurel,

 

Merci pour votre lettre.

 

Hélas, ce n’est pas une légende : je n’ai pas d’accès internet.

 

Libre à vous de m’envoyer ou non un tirage papier.

 

Cordialement,

 

Amélie Nothomb

 

P.S. Hypallage est un beau nom. »

 

Faisant suite à sa demande, je me suis empressé de lui faire parvenir le texte, sans toutefois oublier d’y adjoindre une note de défi à relever :

 

 

………………

 

 

Lettre de Monsieur Damien Saurel en date du 01/06/2015.

 

« Chère Mademoiselle,

 

Votre éloignement de la technologie m’aura offert le plaisir de découvrir votre graphie.

 

Je reviens vers vous par le même mode archaïque et suave de l’écriture manuscrite pour vous signaler que l’article sur vous paru sur notre site est joint à cette missive.

 

Toutefois, j’attire votre attention sur le fait que ma collaboratrice, Alexandra Lampol-Tissot, a commis à votre adresse une lettre ouverte peu banale et à divers degrés, dont vous jugerez de la hauteur ou de la béance, brutale.

 

Je ne suis pas devin en définissant son attitude de défi, de défi à vous lancé.

 

Il appert que vous relèverez le gant haut la main : ne vous censurez point en chemin et livrez votre version sur ce thème du combat jusqu’à l’incandescence s’il le faut.

 

Permettez-moi, en arbitre des élégances, de vous souhaiter en cette joute les plus audacieuses des pointes acérées dans la riposte.

 

Veuillez agréer, Chère Amélie Nothomb, l’expression de ma parfaite neutralité face à votre contemptrice.

 

Damien Saurel

(Pdt Hyp. Ed.) »

 

« Il appert que la petite belge n’a pas relevé le gant ! », ironise depuis lors Alexandra Lampol-Tissot…

 

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