Accueil

OUVERTES À

LETTRES

Aux Cosaques du Don

Lettre ouverte à Romaric Sangars

 

 

 

Cher Romaric,

 

Vous venez de rectifier le portrait d’un académicien qui, si je ne me trompe point, est sous la Coupole président perpétuel, ce qui chez des Immortels vaut pour pléonasme. Le titre de votre pamphlet, Suffirait-il d’aller gifler Jean d’Ormesson pour arranger un peu la gueule de la littérature française ?, laisserait à entendre que vous avez simplement souffleté la face académique la plus en vue, alors que votre camarade Jacques de Guillebon affirme, dans La Nef, que c’est un grand coup de sabre cosaque que vous avez administré, cinglant et sanglant, au dernier lauréat de La Pléiade ! Merci et bravo pour ne pas avoir lésiné sur le moyen, radical et sûr : l’exécution capitale, surtout sur la scène parisienne, est seule de rigueur dans l’ordre de l’éradication d’un pareil parasite mordoré aux ocelles de blatte béate.

 

Il ne fallait pas donner dans la demi-mesure ni temporiser. Déjà, Pascal Fioretto avait envoyé chez Jean d’O, à l’adresse de son appartement de fonction quai de Conti, un tueur, mais ce dernier s’était laissé circonvenir par le hâbleur aux yeux bleu lagon languides, arrondissant les angles, reconnaissant (trop facilement) ses tors, plaidant même coupable, confirmant qu’il ne valait pas la peine qu’on prît la peine de l’éliminer, obtenant par cette ruse l’effet espéré de la rémission recherchée. Mais ce goupil châtré pour sérails énamourés ne sait-il pas que la longévité est au regard du Jugement un indice de mauvais augure : ceux qui durent sont ceux à qui Dieu donne un répit supplémentaire afin qu’ils s’amendent… Mais que faire dans le cas d’un apôtre du scepticisme de bon ton, qui, en son sein performatif rétrograde, empoche Dieu aussi pour en dissoudre la présence probable en un même mouvement d’involution spirituelle !

 

« L’Archange du tiède », comme vous le nommez si justement, le Ciel est sur le point de le vomir ! Alors, alors, je réfléchis. Fallait-il l’assassiner ? Lui offrir aux yeux du monde les lauriers du martyre ? Quelle immonde crapule que cet homme qui nous embarrasse de tant de scrupules ! Et puis, merde, sa présence dans La Pléiade est une ignominie, et Antoine Gallimard un proxénète exploitant tanneur de vieilles peaux falotes   Les deux font la paire de salauds, point. Et, cher cosaque à la charge, votre assaut vengeur est salutaire. Tchac ! que roule en place de grève cette tête « perruquée d’honneurs », car les « faux tifs » sont coupables.

 

Au fait, cher Cosaque, rassurez-moi, vous êtes bien l’un de ceux, pro-russes, sur le Donetz et non un nostalgique des cavaliers de l’Armée Vlassov ? Très bien, très bien… Toutefois, la référence à Bloy pour illustrer d’une citation la fondation de votre Cercle cosaque me gêne encore. Bloy est au christianisme ce que Vlassov fut à l’Ukraine : un fou apocalyptique ayant épousé la plus « haute » cause démoniaque. À chaque fois que l’occasion m’en est fournie, j’en profite pour rappeler aux âmes catholiques que Léon Bloy [est] un prophète luciférien. C’est là le titre d’une étude mémorable et exhaustive menée par Raymond Barbeau avec tout un cercle d’étudiants en Lettres de Montréal, sous la houlette du R. P. Guy Courteau, s.j., dans les années 50. Leur conclusion est sans appel et, à la lecture de leurs travaux, la phrase de Bloy, « j’attends les cosaques et l’Esprit saint ! », ne peut être interprétée que par ses échos blasphématoires. Mais je n’en dis ici pas plus, l’écœurement face à une mystique du Mal et la crainte du feu de l’enfer m’en dissuadant. Je vous invite par la présente, pour la promotion de votre cercle cosaque, à changer de « saint patron » et à honnir sa terrifiante devise.

 

Quant à Jean d’Ormesson, faux homme de tradition, défenseur du droit à l’avortement et, très certainement, en coulisses de son âme intrépide, un amateur à venir du droit à l’euthanasie, ne venez-vous pas de lui rendre l’immense service d’une sortie la tête haute, sillonnant à toute volée le ciel gris plombé de la Rive gauche ? J’entends, déjà, depuis les tours de Notre-Dame, le grand bourdon agacer de regrets éternels les belles âmes parisiennes : « Oh, Jean d’O ! il était si… bath. »

 

D’une escrimeuse telle la Hauteclaire Stassin de Barbey d’Aurévilly, veuillez recevoir, cher Romaric, tout le respect expert de mon katana pour l’ouvrage de votre sabre courbe.

 

Alexandra Lampol-Tissot

 

 

© Hypallage Editions – 2015

^

 

………………

 

 

Réponse de Romaric Sangars

 

 

Chère Alexandra,

 

Merci pour votre missive si enlevée et de reconnaître simplement, sainement, oserais-je dire, et sans tergiverser, la nécessité de flinguer le vieillard. Non en raison d’une quelconque complaisance cruelle, d’ailleurs, ni même par goût gratuit du grabuge – lequel, en certaines circonstances, peut se prévaloir d’un charme idoine –, non, mais par réaction nécessaire. Je plaide la légitime défense tout en admettant le plaisir que j’ai pris à déchirer l’agresseur. Je ne dis pas ça pour me dédouaner – je méprise le tribunal –, mais pour remettre les choses à leurs places puisque justement, dans ce monde de l’inversion permanente, si on a pu me reprocher ma supposée violence dont le réflexe était défensif et alors qu’elle avait pour but de préserver un ultime symbole des hiérarchies littéraires ; personne n’a jamais souligné la violence initiale, celle exercée par Jean d’Ô, celle qui a pour origine sa pathétique vanité sacrilège et n’a tendu que vers la destruction décomplexée des hiérarchies susdites. Et c’est moi, d’après certains, qui serais mal élevé…

 

Pour ce qui est du Cercle, non, je suis navré de vous décevoir, mais nous ne sommes pas des Cosaques du Don, mais des Cosaques de la rive droite de la Seine et nous campons à Belleville. Notre Est demeure Intra-Muros (voyez-vous, notre complaisance pour la sauvagerie a tout de même ses limites). Il nous semblait que, dans la « République des Lettres », le fond de l’air était frais. Léon Bloy écrit au napalm. Nous l’élûmes par souci de réchauffer un rien l’atmosphère. « Un geste citoyen », en somme. Considérant que tout ce qui nous entourait, derrière son barrage d’hologrammes, avait une saveur d’apocalypse, nous nous résolûmes à réaliser, de l’impatience bloyenne, la part à notre portée, et revêtîmes fièrement nos toques.

 

Que le christianisme de Bloy, par ailleurs, soit franchement problématique, j’en conviens aisément. Mais, d’abord, ça n’empêche pas de le citer – le pape lui-même ne s’en prive pas –, ensuite, l’efficace du prisme ouvert par la littérature ne se coordonne pas directement aux grandes doctrines théologiques ou philosophiques – l’intuition, la sensibilité, le pur modelage, y ayant un rôle prépondérant. Si, et c’est souvent vrai, tout ce qui est excessif est insignifiant, Bloy, en revanche, touche à des réalités ultra-mondaines que seule son outrance rageuse permet d’atteindre. Ça n’en fait pas un maître en sagesse, c’est certain. Mais là, nous avions d’abord besoin de faire feu pour commencer d’y voir clair…

 

«Otagai ni rei », comme l’on dit en arts martiaux après une passe – et en vous saluant donc, chère Hauteclaire Stassin, toque à la main, sabre entre les dents.

 

Romaric Sangars

 

http://cerclecosaque.hautetfort.com/

^