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OUVERTES À

LETTRES

« On forcène doucement »

Lettre ouverte à Philippe Sollers

 

 

 

Ô Grand Protagoras,

 

Oui, j’ai bien écrit « ô Grand Protagoras », Cher Philippe, car vous avez remporté l’épreuve haut la main à Venise.

 

Laurent a voulu vous dé-Binet. Or toute sa mise en scène relève de la manipulation, de la malversation, de la malhonnêteté intellectuelle, du petit Fouquier-Tinville salo-nard, du duel truqué, de la joute pipée, de la « billotine à galles », du réquisitoire à l’emporte-pièce !

 

Ce Laurent s’imagine magnifique ! Mais observez, cependant, sous peu, sa déliquescente munificence lorsque j’aurai arraché à son écu ses besants ! Le 15/4 n’en mènera pas large privé de ses balles de service ! En attendant, l’infâme jardinier de Wimbledon vous a mis au supplice, ô, mon doux Philippe, vous a fait monter d’une octave [Mirbeau], en se payant une tête de série, la vôtre. J’entends encore d’ici les dé-Cybèle(s)…

 

Pauvre cher Philippe, Laurent a osé, avec la complicité du satrape barbu milanais, vous botter le cul, en toute impunité ?… En l’occurrence, votre supériorité vous interdit-elle de rétorquer aux ânes qu’ils sont bâtés ? Permettez-moi, toutefois, une suggestion : le moment ne serait-il pas venu de réclamer à la justice le démantèlement de la secte et la fermeture des succursales du Logos Club, tout en assignant son Grand Maître actuel à vous remettre son titre au terme d’un juste procès durant lequel le profane aura reconnu le prix de votre performance dans la Cité des Doges ? Pouvez-vous et dois-je laisser triompher la tricherie et entériner le résultat mensonger ?

 

Car le match, oui le match, mon Dieu ! – il faut que je revienne de ma colère contre Binet et de ma douleur compatissante pour la vôtre, honteusement virtuelle –, le match, le match, disais-je, ce match, il était truqué ! Archi-pourri-vendu-acheté comme le Totocalcio napolitain ! L’autre gros balourd pléonastique est resté en fond de cours, ne relayant même pas vos envolées fameuses, se contentant de renvoyer mollement, avec ruse et mépris, vos dons aériens inouïs d’un revers de néant sémantique foireux…

 

« On forcène doucement » devait ouvrir les hostilités, et vous fîtes honneur à cette formidable devise, à cette invitation insensée, lâchant toute semence au vent, écumant à la proue et bavant à la poupe, arraisonnant par le lyrisme le plus tapageur l’académisme des assis. On entendit claquer le gonfalon de votre ego dément, fracassant, assourdissant l’espace et le temps de la rencontre, éclaboussant de sa folie mouvante la rhétorique de bon-papa, gros tas universitaire infatué inamovible, gras Protagoras usurpateur du titre. Et comment cet obèse sémiologue à gogo releva-t-il le défi de votre verbe de feu et de chair ? En fuitant une étymologie sinueuse (de l’s au c) et un trope castrateur dans ce contexte de sang ! Il vous fit, retors, l’injure de vous immobiliser, de vous enchaîner avec un oxymore douteux, avec un oxymoron aussi peu explicite que la quadrature du cercle ! Mais « on » ne vous laissa pas répliquer à cet impavide savant satisfait de son menu savoir de grimoires perdus et de fiches en bristol ; on vous arracha de force au combat pour vous châtier derechef. Mais c’est vous qui eussiez dû succéder au chef. De haute lutte, vous aviez rétorqué d’avance à ce funeste rhéteur, à ce sophiste sophistiqué non moins que poilu, que, couilles au cul hypothéquées ou non, le défi était magistralement relevé et la partie à votre bénéfice acquise, quand, contre toute attente, vos parties à la cause ennemie corrompue furent sacrifiées.

 

Lors même, vous n’aviez rien à ajouter à ce que vous aviez, billevesée, proclamé. Tout y était, car vous forcenâtes furieusement !

 

« Non, non, dit le gros barbu imbu, li terme di la doxa il a dit « doucement », piano, icé l’écho di uno oxymoré qui tinte ici la terminologie di propos ».

 

« Qui tinte aux rets ! », aviez-vous anticipé, sous le céleste plafond !

 

Néanmoins le gros se fourvoie dans le piège de sa définition des termes de l’enjeu. Vous avez eu, Cher Philippe, cette générosité qui vous poussa à la folie face à la raison calculante de votre adversaire, étreignant à bras déployés la sollicitation débridée de la devise à vous soumise. Vous déblatérâtes, extrapolâtes extraordinairement et délirâtes opiniâtrement ; ce qui constituait la plus haute et la plus exacte incarnation de la formule : « On forcène doucement ».

 

« Non, non, oxymoron ! », s’acharne à réclamer l’affreux adipeux rital.

 

Laissez-moi, Cher Philippe, lui répondre à ce chancre qu’aucune saine folie ne saurait satisfaire sans nourrir son cancer de la ratiocination. Avocate autoproclamée pour le bon droit de votre cause à délirer, non pas doucement, mais furieusement, tel un forcené, laissez-moi, Cher ami, lui rétorquer et lui clouer le bec, définitivement :

 

Depuis Sein und Zeit, chacun sait que on est personne ; ainsi la devise « On forcène doucement » aurait-elle dû être heideggériennement traduite par « Personne ne forcène doucement » ; proclamant donc que le forcené ne cède à aucune limite et que sa mesure est hors de mesure, incalculable et hors de toutes proportions normatives, et que, par là, la règle vous est propre et sans objet possible de restriction. Voilà ce à quoi vous invitait providentiellement la phrase proposée. Son interprétation ne pouvait être qu’abyssale. Or, votre folle participation, en sa grandeur herméneutique, fut une aventure heuristique absolue !

 

Mais qu’a-t-on fait du glorieux forcené ? On l’a saisi et châtré, on lui a soumis les cacahouètes à la pression des poucettes, détaché les figues au sécateur, radicalisant le génie génital d’Héliogabale, le privant de sa terminaison…

 

« Never mind the bollocks! »

 

Demeure, à jamais, le soleil…

 

Et de m’incliner, transie, devant l’astre écarlate au couchant…

 

Alexandra Lampol-Tissot

 

 

PS : Quant à toi, Binet : « Cave ne eas ! » Ce que tu as traduit par : « Garde-toi de sortir ! », (sous-entendu) ou je te les coupe... J’ai, en effet, bras armé de la justice philologique, dégainé mon katana. Mais tu n’y entends rien : je n’ai pas dis « cave ne eas ! », mais « cauenas ! », « figues », en latin. Oui, mets tes figues à l’abri de ma lame. Sur la base de l’antique et unique jeu de mots oral romain connu et que nous a rapporté Cicéron, le v du Latium se prononçait donc [we], dans ce cas oué (K-way ?), tandis que le u souvent sonnait ou, d’où ta méprise claustrale, Binet, qui, du reste, te sauva, pour cette fois, la mise. Mais dussé-je le répéter inlassablement, je ne suis pas agrégée de Lettres classiques, mais modernes, maîtrisant le nippon de la rivière Kwaï, que je passe allègrement à « gay » ou à vapeur, et « la voie du sabre » que je fraie d’estoc et de taille à outrance !

Je te retrouverai, Binet… « Cuïas meas noli brisare ! », hurle dans un latin de cuisine rance la prétentieuse victime affolée rescapée, pour le moment… J’aurai tes « figues », Binet, quelque soit la prononciation latine, pour en faire don, greffon au bon Sollers. Et comme le dit la Comtesse en son caustique album : « Le Grand Eunuque se contenterait de deux petites cailles de sa troupe ».

 

 

© Hypallage Editions – 2015

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