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OUVERTES À

LETTRES

« Néron de vos discours commence à se lasser »

Lettre ouverte à Najat Vallaud Belkacem

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Madame le/la Ministre,

 

Nous ne sommes pas sur Twitter, chez Hypallage, aussi vous interpellons-nous par la présente, posément, en prenant le temps de nous relire. Car, il en va de votre twitt comme de la réforme de l’orthographe à venir, conduite à vau-l’eau.

 

Le problème, aujourd’hui, n’est plus l’orthographe pour les élèves, les correcteurs orthographiques des traitements de texte et des aides instantanées à la frappe de nos échanges numériques nous rendant rigoureusement les mots dans leur transcription exacte. Votre message est, à cet égard, rédigé sans une seule faute d’orthographe. Le problème est, et reste, parmi les modalités d’acquisition de la maîtrise de notre langue, la grammaire, la conjugaison et, surtout et avant tout, la syntaxe.

 

Or – enfer et damnation ! –, votre message n’est pas français. Jugez du manquement :

 

Vous avez confessé vouer une haine tenace à l’encontre de l’accent circonflexe depuis les bancs de l’école… Est-ce le rôle d’un/d’une Ministre d’État d’inscrire la vengeance dans la Loi ? De façon contradictoire, vous convoquez l’imparfait du subjonctif et son joli accent circonflexe à la troisième personne du singulier dans votre twitt. Aux vues du résultat, nous admettons que vous puissiez cultiver une haine contre ledit « chapeau chinois ». Or, l’orthographe, réformée ou non, ne vous eût été ici d’aucun secours : le problème relevant de la concordance des temps.

 

Il eût fallu forcer encore la note d’une octave en conjugaison pour élire le plus-que-parfait (du subjonctif). Oui, nous le reconnaissons, la chose eût été hardie, et presque effrayante, assurément teintée de pédanterie. Elle eût pu passer pour moqueuse, adresse dont vous eussiez fait une arme avantageuse contre ceux qui vous guettent au tournant de la faute écrite. Mais tentative ne vaut pas réussite, en la circonstance. Nous croyons pouvoir dire qu’Hypallage n’« eût [pas] critiqué » votre déclaration ni même pensé à le faire sans l’affront rédactionnel catastrophique dudit twitt. Il est toujours dangereux et malaisé, et nous en venons ici au problème fondamental de la structure syntaxique de la phrase française, de commencer par une subordonnée, qui induit l’usage de temps dont la maîtrise des conjugaisons est difficile et l’exercice risqué, nous vous le concédons.

 

Il sera bénéfique pour vous, à l’avenir, de débuter vos phrases par la principale. Rivarol, certes quelque peu d’Ancien Régime dans la tournure d’esprit, mais d’une syntaxe d’une clarté imparable, préconise d’annoncer, en premier, le sujet du discours, puis de poser le verbe qui est l’action, et enfin de nommer l’objet visé. Voyez, encadrées entre des virgules, les incidentes à effacer mentalement pour retrouver le verbe attaché au sujet de la principale (en l’occurrence « Monsieur de Rivarol préconise [COD] »). Les incidentes ralentissent et précisent le sens, mais ne le constituent pas. Que la principale reste et demeure première en français !

 

Vous eussiez évité, et le plus-que-parfait s’impose, impitoyable, ici, car l’erreur par vous commise n’est plus récupérable, les réseaux sociaux l’ayant dupliquée à l’infini…, d’écrire (illogiquement) que vous étiez « appliquée en 2008 », ce dont nous ne doutons en rien. Le verbe « appliquer » étant transitif, il nous manquerait, là encore, son complément d’objet, ce troisième item requis par Rivarol. Mais enfin, passons, car autrement il nous faudrait comprendre que la réforme et vous ne faites qu’un…

 

Mais, ne sommes-nous pas un peu « couillons », chez Hypallage ? Nous n’avions pas vu, ô stupides réactionnaires de la grammaire, que vous pratiquiez avec maestria la figure stylistique de l’énallage, tel Néron parlant de lui dans Britannicus à la troisième personne du singulier, là où vous-même vous passez d’« elle » à « je » sans ambages ! En un pronom personnel confondu, la Réforme et vous n’êtes qu’une seule et même chose. L’objet du twitt vient d’être décrypté par nos lourdes et modestes caboches, par nos cerveaux lents…

 

Veuillez ici recevoir, chapeau bas de tous les membres de l’équipe éditoriale le long de la jambe, la tête inclinée forcée par le respect despotique que vous nous imposez, l’hommage qu’il se doit pour votre remarquable et époustouflante leçon sur l’énallage.

 

Avec force admiration,

 

L’équipe d’Hypallage Editions

 

 

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